PLEASE DON'T KILL MY VIBES!

mardi 8 décembre 2020 20:00 - 22:30

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À l'occasion de la sortie du documentaire Vibes, Lezarts Urbains, Timiss et Freestyle Lab ont rencontré ce lundi 8 décembre le collectif du film. Les danseurs Nicolas Chanh LeRoy, Abir Gharbi, Israël Ngashi, Danys Vanderhaegen et Ophélie Simonis nous ont rejoint en compagnie de l'animateur cinéaste du Centre Vidéo de Bruxelles Oumar Diallo, initiateur du projet. Les circonstances actuelles étant ce qu'elles sont, la rencontre a eu lieu via caméras interposées, diffusée en direct sur Facebook.
 
 
 

Vibes est un film qui porte formidablement bien son nom. Plutôt que de le résumer, nous vous invitons vivement à le visionner à l'issue de votre lecture. Parce que la vibe ça ne se résume pas, ça se ressent. Et c'est ce même sentiment que nous avons eu à travers nos échanges : un feeling qui se vit mieux qu'il ne s'explique. Nous tenterons néanmoins de le faire, afin de partager avec vous la passion et la détermination qui animent ces danseurs.

Le 17 mars dernier, la Première ministre Sophie Wilmès annonçait le confinement total de la Belgique. La population est invitée à rester chez elle, les rassemblement sont interdits, les activités culturelles restent suspendues. La culture du freestyle étant vouée par son essence à s'adapter, des battles s'organisent en ligne. Les cours prennent le pas, les réseaux sociaux prennent des allures de place publique. Depuis le départ le mouvement est réactif à la crise, parce qu'un danseur qui ne peut pas être en mouvement est comme privé de l'air qu'il respire. Invités par Oumar à filmer leur quotidien, Nicolas, Abir, Israël, Danys et Ophélie se prêtent au jeu tant bien que mal.

« J'ai dû intégrer ce méchanisme et au final j'ai eu de bonnes vidéos, mais au début c'était dur. T'es à la maison tout le temps, y a rien d'intéressant à faire, et Oumar nous poussait à filmer tout: les moments où j'étudias, où j'étais avec la famille... » - Israël Ngashi

Mais les réseaux sociaux ne résolvent pas tout. Le réel partage avec les gens manque cruellement. Quand ils ont enfin pu se retrouver au parc du Cinquantenaire, ce fut une véritable libération. Pour certains il a fallu se réadapter, surtout au vu des restrictions imposées. D'autres ont découvert une nouvelle vibe en eux qui ne demandait qu'à être délivrée. Accros au partage, ils ont profité de toutes les occasions qui se présentaient, conscient de l'importance du moment présent et de l'énergie des gens.

« Avant quand je m'entraînais c'était plus réfléchi, plus calculé. Meintenant la qualité de ton moment présent et de ce que tu vis en ce moment fait que tu t'enjailles vraiment avec des petites choses. C'est moins quantitatif, c'est plus qualitatif, tu vois?  » - Ophélie Simonis

Au début du mois de juillet, le Zinnema ouvre ses portes au TAKE-OVER de Timiss, et ces moments resteront inoubliables pour tous les danseurs qui y ont participé. Vibes témoigne du besoin et de l'envie de ces jeunes d'avoir un espace à eux, mais la réalité c'est qu'aucun lieu n'est dédié aux danseurs freestyles de Bruxelles. Aucun centre n'est là pour les accueillir. Corona ou pas, ils n'ont pas d'autre choix que de s’entraîner dans la rue ou à la maison. Mais cette fois, dans le plus grand respect des règles sanitaires et avec un budget quasi inexistant, ils ont pu occuper l'entièreté du centre d'art d'Anderlecht pendant les vacances d'été.

« Tous les événements se sont bien passés, malgré les restrictions, malgré le manque de budget. Ça prouve que notre communauté peut faire de grandes choses. Donc faut arrêter de sortir des excuses comme, non ils sont pas capables, etc. » - Mouss Sarr

Les projets qui y ont tenu place ont été entièrement organisés par les danseurs, et le public était toujours présent. Plus que convaincu, le Zinnema propose de réitérer l'expérience l'année prochaine. En plus de balayer les doutes quant à leurs capacités d'entreprendre, le TAKE-OVER de Timiss a montré que la communauté de la danse était solidaire. Choré ou freestyle, krump ou hip hop, lock ou house, tous se sont rassemblés pour un même but : celui de partager l'amour de la danse. Parallèlement, le camp FREESTYLE LAB mis en place par Anissa Brennet leur a permis de vivre une expérience similaire. Après trois mois de confinement, la magie qui s'est dégagée de ces retrouvailles met des étoiles dans les yeux de ceux qui en témoignent. Malgré les mesures de distanciation, l'échange humain a pris le dessus. De tout âge et de tout style, les danseurs sont juste contents d'être là, de transpirer ensemble et d'échanger.

« On a eu des workshops, des talks, des battles, des concepts qu'on n'a limite jamais. Tout ce dont on avait besoin on l'a eu en un mois de temps et ça a prouvé que c'était possible. Donc ça a été une grande leçon pour tout le monde. Y a moyen, c'est pas impossible. C'est difficile, mais c'est faisable. » - Danys Vanderhaegen

Malheureusement, à l'heure où le documentaire a été diffusé, un deuxième confinement a déjà frappé. Et pour ces artistes, il est beaucoup plus difficile à vivre que le premier. Au mois de mars, cette pause leur a permis de faire le point, d'organiser leur communauté en ligne ; ce qui allait leur rendre service au final. Ces trois mois de lockdown, bien qu'horriblement frustrants, avaient quelque chose de constructif. Mais l'objectif du déconfinement était de mettre en application ces leçons qu'ils avaient apprises, de mettre sur pied les plans qu'ils avaient élaborés pendant cette période de réflexion. En plus de les freiner dans leur élan, ce deuxième confinement leur fait prendre conscience qu'il n'y a aucun moyen de savoir à quel moment la vie reprendra son cours. Il va falloir s'adapter, plus longtemps que prévu, et le plus pénible aujourd'hui c'est de ne plus pouvoir se projeter. Les meilleures perspectives de reprise de l'agenda culturel sont envisagées pour juin 2021, et encore rien n'est moins sûr.

Si cela ne suffisait pas, une triste réalité s'impose : celle du statut du danseur freestyle. Les danseurs professionnels ont accès à des salles, les autres retournent danser dans la rue. Cela montre le fossé qu'il y a entre le monde culturel et le monde des street cultures. La position des street danseurs dans l'espace culturel ne date pas de la crise sanitaire, mais celle-ci l'exacerbe ; et cette position ils comptent bien la changer, mais pour cela il faudrait déjà les laisser danser.

« Tout le monde dit : oui, on verra dans deux semaines, on verra dans un mois... Le problème c'est qu'on ne sait pas quand ça va reprendre. Et même si ça reprend, y aura peut-être un troisième confinement. Et on ne sait pas c'est quoi les restrictions. Y a des événements qui devaient avoir lieu y a deux semaines il fallait minimum 60 personnes pour pouvoir payer les profs, on pouvait même pas le faire parce qu'on pouvait ramener que 30 personnes, mais c'est la moitié du budget! » - Nicolas Chanh LeRoy

Pour tenter de joindre les deux bouts, il ne reste que les cours en ligne. La prime de 1500€ couvre trois mois d'inactivité, cela ne suffit pas. C'est alarmant pour la suite mais aucune sonnette d'alarme n'est déclenchée. Pour être considéré comme un danseur professionnel il faut signer des contrats et payer des lois sociales, mais les écoles de danse ne proposent que des RPI (Régime des Petites Indemnités), et donc aucune sécurité. Si le cours est annulé pour quelque raison que ce soit l'artiste n'est pas payé. Il est donc obligé de se faire une raison et de changer de secteur d'activité s'il veut gagner sa vie. Les perspectives de carrière pour un artiste en Belgique sont au plus bas, et la société semble trouver ça normal, comme s'il ne s'agissait que de flemmards qui refusaient d'aller travailler. Pourtant, il y a des solutions. Comme le statut d'artiste, même s'il demande de faire de gros sacrifices.

« Y a pas vraiment de modèle économique pour les danseurs. On va être payé en RPI ou en bénévolat, et les primes c'est avec des vrais contrats qu'on peut les avoir. Même quand ils ont rouvert les résidences c'était pour des danseurs qui avaient des contrats. Ça montre encore une fois le fossé qu'il y a entre la culture au sens propre et notre culture qui est moins dominante et moins reconnue.. C'est déjà dur de vivre de son art, encore plus en plein confinement et l'État nous considère comme les laissés pour compte de la culture. Cette crise doit nous faire réaliser qu'on doit créer un modèle économique pour les danseurs, et qui soit adapté à notre manière de fonctionner. » - Oumar Diallo

Le système doit-il s'adapter ? Ou les danseurs doivent-ils s'adapter au système ? Si les danseurs sont honnêtes avec eux-mêmes, ils admettent volontiers leurs lacunes et le manque de connaissances quant aux possibilités qui s'offrent à eux. Le statut d'artiste est trop flou. Il a pour réputation d'être difficile à obtenir, mais ce n'est pas impossible. Il existe bien des structures d'accompagnement qui permettent aux danseurs contemporains de l'obtenir, mais personne ne guide les danseurs hip hop dans leur quête de protection de l'intermittence. Pourtant ce statut d'artiste leur revient, et il faut faire quelque chose. Il va falloir mettre en place des plateformes d'accompagnement, des séances d'informations, et cela passe par une prise de conscience : les street danseurs y ont autant droit que les danseurs contemporains. Aujourd'hui leur objectif est de créer leurs propres ateliers, leurs propres structures afin d'aider à la professionnalisation de leur communauté. Quitte à le faire en ligne en attendant le déconfinement.

« On sait pas comment on doit faire. On sait que c'est dur, que ton RPI faut le déclarer en contrat, payer tes lois sociales et ça fait vraiment mal au coeur. C'est horrible parce que sur tes cent cinquante euros t'en gagnes soixante. C'est un vrai sacrifice. Ça fait peur comme ça mais y a plein de moyens à se donner pour avoir le statut. Moi je ne voulais pas d'instabilité, j'avais trop peur de la galère, donc vivre de la danse ça m'a toujours fait peur. Mais en 2019 j'ai quitté mon emploi pour me lancer dans la danse et vivre de ma passion. Y a FREESTYLE LAB, l'organisation d'événements, la diffusion, la com. J'avais toutes ces casquettes, toutes ces passions, et j'ai voulu faire un truc avec tout ça. » - Anissa Brennet

Même si un film ne pourra jamais traduire la hype qu'ils ressentent en dansant, Vibes nous fait ressentir un échantillon de leur passion, leur énergie, leur envie de partage. L'image apporte un autre degré de lecture qui nous donne envie d'en savoir plus, de les rencontrer, de les soutenir. Elle nous donne envie de voir la suite, peut-être un Vibes 2, au travers duquel on verrait l'évolution de cette situation qui ne peut rester telle quelle.

« Les gens ont vu notre quotidien et ont vu ce que c'est même en dehors du confinement la vie d'un danseur freestyle. On veut voir une évolution. Montrer qu'on va rester dans cette case jusqu'au bout. Faut montrer les portes qu'on nous ouvre pour que les gens ouvrent encore plus de portes. » - Abir Gharbi

Ce qu'il faut retenir du film avant toute chose, c'est que Vibes est un cri d'espoir intemporel. Leur situation n'est en rien due au confinement. Si cette crise sanitaire exacerbe leurs difficultés, elles sont là depuis toujours et la situation actuelle doit être la sonnette d'alarme qui permettra une fois pour toute de dépasser cet état de fait. Des structures comme Timiss et Freestyle Lab doivent absolument pérenniser, afin d'inspirer la nouvelle génération à se lancer et à faire de même. De son côté, Lezarts Urbains a décidé de se retrousser les manches afin d'agir en ce sens. Nous vous donnerons plus d'informations dans les semaines à venir mais oui, il est temps que les choses évoluent !

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Lezarts Urbains
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Belgique
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