LADOSHAD

vendredi 16 juillet 2021

Le 16 juillet 2021, Lado Shad & The Gloomy Sailor ont sorti un projet commun: « Entre Deux Rives ». Si le rappeur et le beatmaker n’avaient jamais travaillé ensemble, leurs parcours respectifs ne datent pas d’hier. Focus sur Lado Shad, un artiste fidèle à lui-même. Lezarts Urbains revient sur son parcours, son actualité et ses objectifs. "Ah si tu savais, ce qui y avait jadis dans la Shadomatrice..."

INTRO(SPECTION)

"Entre deux rives je me suis tu, depuis que j'ai senti ces peines. Jamais en panne d'inspi, dans la matrice j'écris ces thèmes. Des kilomètres j'en ai parcouru, grâce à Dieu j'suis toujours en vie. Y a des stigmates qui ne s'effacent pas, ce que m'a dit mon psy..."

Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Lado Shad a commencé à marquer l’univers du rap belge en 1994. Avec son groupe La Tourbe, le rappeur liégeois (accompagné de Béhybé, Sameer, Hari Seldon et Dj Salace) arpente les scènes jusqu’en 2006 et séduit les amateurs de Hip Hop de Liège à Gand en passant par Bruxelles. Quelques projets K7 mixées en démo circulent dans les battles et les concerts, loin d’Internet, des réseaux sociaux et du rap lucratif.

En 2001 le crew s’associe à HNS et Skaa Barok pour fonder le label Rainydayz, l’objectif étant de chacun pouvoir sortir ses projets en indé. En 2002 La Tourbe y sort le maxi « De Mon Bic À Tes Baffles ». Ils sortent d’autres projets ensemble jusqu’en 2007, année où le groupe se sépare. En 2009, Ladoshad sort une première mixtape solo : « Pay or Fuck ». Il enchaîne ensuite les concerts et les séances studio, puis sort son premier clip en 2009 avec Skaa : « Pas la Peine ». En 2012 il sort un EP 6 titres, « L’Homme de l’Ombre ». On y retrouve des prods de Bad Beat Muzik (label de Verviers), des cuts de DJ Fléo et des rappeurs comme Modal, Verbal, Don Ciccio et autres précurseurs du rap belge.

En 2014 Ladoshad sort un album avec Arash : « Le Temps Qui Reste », produit cette fois par Underwater avec Dj Bust aux cuts. Il enchaîne en 2015 avec une nouvelle mixtape, « Ladoshad Story » feat Dj Atone, en 2017 avec son EP 7 titres « Histoires d’Une Vie » (prods de Mpsylon Akn, cuts de DJ Beguine) et avec la mixtape « Bagdad Café », compilant à l’ancienne différents artistes du Hip Hop belge.

Le 6 décembre 2017, il se fait arrêter à Casa Blanca où il fait six mois de prison pour un délit qu’il n’a pas commis. En 2019, avec un arrière-goût de remake à la Midnight Express, Lado raconte ce cauchemard dans la mixtape « Morrocan Nightmare », produite par Diamond Dia et lui-même. C’est avec un grand sourire qu’il dit en être sorti plus fort, que c’est la vie et qu’il faut se relever, se battre, continuer. Insatiable il continue et sort « Pay or Fuck 2.0 », un 10 titres de sons entièrement enregistrés sur face b, publié sur YouTube en juin 2020.

"J’reprends le contrôle de ma vie, c'est plus qu'une introspection"

Lado Shad

Cette année il sort « Entre Deux Rives » avec le beatmaker The Gloomy Sailor, DJ R100 et quelques invités, un projet qui vient compléter le cv du rappeur avec tant d’émotion et de mélancolie qu’on ne peut qu’être touché par les confessions qu’il contient. Ayant remporté son combat contre l’alcool et plus déterminé que jamais, Lado Shad aspire à propager des paroles de paix, des messages positifs et beaucoup de sincérité. « Quand je prends le micro c’est pour dire des trucs sensés, pas pour commencer à jouer un rôle. Le hip hop, le rap c’est une culture, c’est un rap à message et ce sont des choses qui ne doivent pas se perdre, surtout vu ce qui se passe en ce moment dans la musique, qu’elle soit commerciale ou non. Donc ouais voilà, beaucoup de mélancolie, très terre à terre, et des vérités. Tant qu’on peut les dire on les dit. » 

"Décrire les émotions, aller de l'avant, savoir rester positif."

Guitariste à la base, The Gloomy Sailor tourne pendant dix ans aux côtés de son groupe Hangin’Out. Avec plus de 250 concerts à son actif, il découvre le beatmaking en 2008 et passe du punk rock hardcore au rap mélancolique. Un revirement complet qui s’il surprend ne retire rien au talent de l’artiste. De belles connections se créent, notamment du côté américain : deux albums sont en préparation, le premier avec Beni-Hana (rappeur de Caroline du Nord), le second avec Qualm des Savage Brothers.

The Gloomy Sailor

"Mes psaumes en caractère gras me permettent de m'évader"

C’est sur les réseaux sociaux que Lado Shad et The Gloomy Sailor découvrent leurs univers respectifs. Tous deux venus de Liège, ils décident de se rencontrer et se mettent à travailler sur le champ. « Je vois qu’il vient d’un quartier près de chez nous, c’est juste en bas de chez moi en fait, et j’me dis : Ah bon, un gars qui fait des beats à l’ancienne et c’est des tueries en plus, du coup j’ai essayé de le contacter. Et puis j’avais envie de revenir un peu à l’ancienne, sur des prods pas trop trap. J’aime bien aussi, mais Lado Shad c’est Lado Shad! »

OBJECTIFS

"Les humeurs se distinguent, plus de peines que de joies"

Vu l’hyper-productivité de l’artiste, on peut déjà se demander ce qu’il nous réserve pour la suite. « Continuer sur ma lancée, rester la personne que je suis et… advienne que pourra ! », nous confie-t-il. Bien que la musique soit et restera sa passion et son exutoire, son objectif premier est de se focaliser sur sa vie de famille, son fils et ses proches. C’est d’ailleurs son fils de dix ans, Yacine, qu’on entend sur l’intro du projet « Entre Deux Rives ». Aller de l’avant, garder l’esprit sain et ne plus boire d’alcool vont donc de pair avec l’objectif que le rappeur s’est fixé, un état d’esprit qui l’a d’ailleurs lancé dans ce dernier EP. Musicalement, un second album entre Lado Shad et The Gloomy Sailor n’est pas exclu. Si celui-ci s’écoute d’une traite et on repeat, il nous donne aussi envie de connaitre la suite ! On reste donc à l’affut.

"C'est plus facile de faire la morale que de conseiller son prochain"

Face à ceux qui font l’apologie de l’alcool dans leurs clips, Lado Shad ne se pose pas en donneur de leçons. Il s’en réfère à son vécu et à son expérience mais ne compte faire la morale à personne. À l’âge de 42 ans il réalise qu’il ne parvient pas à s’en sortir seul. Il décide de demander de l’aide et se rend au Centre Louis Hilier, un centre de désintoxication de la ville de Liège, spécialisé dans le traitement de l’alcoolisme. « Je suis allé dans un centre pare que seul je n’y arrivais pas. Je me suis dit : C’est bon, à partir d’un moment, j’ai 42 ans il faut que j’arrête de boire. Sinon.. BING ! C’est vrai que ma génération, quand j’étais plus jeune on buvait, on fumait et on aimait bien arriver sur scène déglingués, mais en fait ça ne sert à rien. Tu peux pas faire ton set en forme et donner la même chose. Après ça devient moins marrant, y a des choses de la vie qui font que t’as plus envie, t’as plus envie de tout ça. Ça reste des risques, tu joues, tu joues, à partir d’un moment ça va éclater, la ficelle peut péter. Tu commences à perdre tes amis, à faire du tort à tes gens, à ta Madame, au petit, tu vois ? J’ai plus envie. Je sais que je marche sur des œufs, mais je vais tout faire pour m’envoler. Passer par ce centre, ça m’a permis d’apprendre en profondeur ce qu’était vraiment l’alcoolisme et faut surtout pas hésiter à se faire aider. »  

STUPEUR

"Sur terre les combats sans frontière ne datent pas d’hier. Être libre ne signifie pas vendre son âme, protégeons nos arrières ! La vie est courte, c’est tellement facile de s’auto-détruire, on met du temps à réfléchir, on élève la voix avant d’agir. L’esprit mûrit selon les épreuves de chacun, les actes manqués se comptent en nombre pour faciliter le déclin."

Si l'EP tourne beaucoup autour de l’autodestruction et de ses alternatives, Lado Shad insiste sur le fait de se poser les bonnes questions, de revenir aux fondamentaux, à ce qu’est la vie. « Faut la croquer, dit-il, J’ai perdu mon petit frère en 2014, ça remet beaucoup de choses en question. En soi j’ai encore plus sombré dans l’alcool à ce moment-là parce que je n’étais pas bien dans ma tête, pas bien dans ma peau. J’étais toujours en train de penser à mon frère... Ce sont les stigmates de la vie, mais à partir d’un moment faut mettre le holà. Parfois c’est dur, dans le sens où t’as beau essayé d’avancer et de vouloir faire des trucs positifs, y a toujours des trucs qui ne vont pas mais au fond c’est ce qui nous renforce. Donc voilà, c’est pas grave, si c’est pas pour aujourd’hui demain ça ira peut-être mieux. »

MIROIR

"Dans mon miroir, le reflet semble confus, le regard change selon les mauvaises habitudes…"

Lui. Elle. Nous. Dans « Miroir », Lado Shad raconte ces histoires qui se rencontrent et se reflètent. Si le texte est bien arrangé par ses soins, ce sont les plumes des résidents du Centre Hilier qui s’y croisent. « Quand j’étais au centre, j’ai proposé à tous les gens qui étaient là d’écrire deux ou trois phrases. À la fin j’ai un peu réadapté tout ça à ma sauce, en gardant ce qu’ils avaient écrit et j’en ai fait un morceau. Au lieu de mettre les noms, j’ai mis Il ou Elle. »

ENTRE DEUX RIVES

" 43 piges, j’ai l’esprit qui travaille, t’imagines pas ! J’suis seul entre deux rives, depuis tout jeune je fonce tout droit. "

Au cœur de sa propre dualité, entre addictions et réussites, entre les points négatifs et les points positifs, le rappeur liégeois mène sa barque et tente de voguer droit devant. Il nous parle de son parcours, tant magnifique que chaotique. Il continue son combat, teste son courage sans jamais dénigrer son prochain comme il le dit si bien. Lyriciste affirmé, Lado Shad écrit dès qu’il peut, avec ou sans instru. « C’est spontané, je me lève le matin et dès que j’ai l’occasion d’écrire j’écris, après je m’adapte sur une instru. Ou l’inverse, ça dépend si l’instru me parle, sinon la manière d’écrire est ancrée, après je m’adapte en fonction de l’instru qu’on me propose. » De son côté, The Gloomy Sailor est très axé sur la mélodie. Ses instrus sont riches et développées, loin devant celles qui se suffisent d’un sample, d’une batterie et d’une basse. Les refrains sonnent, la mélancolie est prenante, l’expérience du musicien reconverti en beatmaker est clairement présente.

« Entre Deux Rives », c'est aussi une cover qui parle à travers les âges. La pochette est signée Julien Skwal; on y voit un vieil homme aux airs de Tortue Géniale ramant à bord d'un semblant de drakkar sur un cours d'eau rouge sang. Si ce dernier n'est pas sans rappeler le Styx (fleuve qui sépare les Enfers du royaume des vivants dans la mythologie grecque, ndlr), on ne peut que souhaiter au rappeur que l'analogie choisie fasse office de prémonition. En effet, Styx n'était autre qu'une Nymphe, mère de Zélos (le zèle), Kratos (la puissance), Bia (la force) et Niké (la victoire). Puissent ces piliers accompagner Lado Shad dans son quotidien, sa musique, son combat. Sans oublier que le Styx est également le fleuve où fut plongé Achille : selon la légende celui qui s'y trempait héritait de l'invulnérabilité. On connait tous l'histoire de son talon et de sa faiblesse, les deux références servant de rappel quant à l'importance de croire en ses forces tout en étant conscient de ses faiblesses. Qui osera dire que les MC's ne sont pas philosophes?
 
HIP HOP CONVICTION

"On reste en mission, Hip Hop conviction"

Activiste Hip Hop dans l’âme, Lado Shad regrette que la nouvelle génération ne s’intéresse pas plus aux anciens. « Je me rappelle quand je rappais, les gars de mon quartier ils se moquaient de nous jusqu’à nous dire d’arrêter le rap ! Maintenant tout le monde veut rapper, mais il faudrait qu’ils apprennent d’où ça vient tout ça. Pour pouvoir évoluer dans un domaine, il faut connaitre un minimum les bases. » Si les précurseurs ont failli à leur devoir de transmission, c’est un peu la faute des médias selon lui. Tout est allé trop vite. Il remarque aussi le manque de solidarité de la communauté rap actuelle.  « À l’époque y avait une solidarité énorme ! Moi j’me rappelle on était un groupe de Liège pourtant on rappait tout le temps à Bruxelles. On venait tous les weekends, on venait ici à Bruxelles, on faisait des choses. Aujourd’hui chacun reste dans son coin, la rivalité a pris le dessus, ce qu’il n’y avait pas à l’époque. Avant la rivalité elle était artistique, le but était d’être le meilleur pas d’avoir le plus d’abonnés. Ça nous permettait de nous rencontrer, il n’y avait pas internet donc on allait en soirée, on s’invitait sur des mixtapes, il n’y avait pas les clicks sur YouTube, le buzz, tout ça. Après chaque époque est différente. »

Il est vrai qu’il est curieux d’observer ce manque d’intérêt qu’ont les nouveaux rappeurs pour ceux des générations précédentes. Tout style musical confondu, il est en général d’usage de respecter les classiques et les pionniers du genre. Si rien n’est dû au hasard, il est indéniable que les médias contemporains ont leur part de responsabilité dans tout ça. Cela dit, ils sont loin d’être les seuls et cet état de fait rentre clairement dans l’agenda du divertissement de masse. « It’s bigger than Hip Hop » si l’on peut le sous-entendre ainsi. Qu’il s’agisse de défendre la culture Hip Hop ou de tenter de l'annihiler, les enjeux vont bien au-delà du son. Lado Shad reste positif. Son espoir ? « Que ça continue dans le bon état d’esprit, qu’il y ait toujours des MC’s qui kickent, avec du flow, parce que le Hip Hop ça reste ça, ça reste une compet. De toute façon y aura toujours des bons, y aura toujours des mauvais, y aura toujours des trucs qui nous plaisent et d’autres qui nous plaisent moins. Après moi c’est ma vie, j’y mets beaucoup de trucs personnels, après ouais, on prend des risques, mais c’est ma vision de l’écriture. »
 
MERCI

"L'horizon au loin se doit d'être harmonieux. Les hauts, les bas, c'est ça qui nous caractérise le mieux. J'dois tout à mes proches ici, les épreuves m'ont endurci, j'partirai pas sans dire merci."

L’EP « Entre Deux Rives » est disponible sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement. Enfin, après avoir saigné l’album de Lado on lui a bien sûr posé la question : Y avait quoi jadis dans la Shadomatrice ? « (rires, ndlr) Oh ben y avait la jeunesse, l’insouciance, les délires entre potes. Y en a toujours ein, mais c’était plus un univers, la Shadomatrice c’est mon univers artistique. On y reviendra mais on laisse le suspense… (rires, ndlr) »

Lado Shad

https://www.youtube.com/channel/UC0XCF0KjSY70kPNWOq_iziQ 

The Gloomy Sailor


www.thegloomysailor.com 

Propos recueillis par Melissa Farah

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